Comme au bord de la mer







Comme au bord de la mer sur le front de séparation

sur la frontière pendulaire

Le temps donne et retire

Assène et étale,

Vomit, ravale,

Livre regrette,

Touche, tombe, baise et gémit

Et rentre à la masse,

Rentre à la mère,

Eternellement se ravise

Sur le front battu de la mer

Je m’abîme dans l’intervalle de deux lames…

Ce temps à regret

Fini, infini…

Qu’enferme ce temps ?

Quoi se resserre, quoi se rengorge ?

Que mesure, et refuse, et me reprend ce temps ?

Imposante impuissance de franchir, O Vague

La suite même de ton acte est se reprendre,

Redescendre pour ne point rompre

L’intégrité du corps de l’eau

Demeurer mer et ne point perdre

La puissance du mouvement

Il faut redescendre

Grinçante, à regret, se réduire et se recueillir,

Se confondre au nombre immuable,

Comme l’idée au corps retourne,

Comme retombe la pensée

Du point ou sa cause secrète

L’ayant osée et élevée,

Elle ne peut toujours qu’elle ne s’en revienne

A la présence pure et simple, A toutes choses moins elle-même,

Elle-même jamais longtemps,

Jamais le temps

Ni d’en finir avec toutes choses,

Ni de commencer d’autres temps…

Ce sera toujours pour une autre fois

Une infinité de fois

Un désordre de fois

Entends indéfiniment, écoute

Le chant de l’attente et le choc du temps,

Le bercement constant du compte,

L’identité, la quantité,

Et la voix d’ombre vaine et forte,

La voix massive de la mer

Se redire : Je gagne et perds,

Je perds et gagne…

Oh Jeter un temps hors du temps

Plus que seul au bord de la mer,

je me livre comme une vague

A la transmutation monotone

De l’eau en eau

Et de moi en moi


Paul Valery

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